lundi 23 juin 2014

La bipolarisation SFIO-BDS

Suspendu pendant l’intermède vichyste, le conseil municipal ne sera rétabli que 20 mai 1943 avec le retour d’Alfred Goux. L’année 1944 est marquée par la reprise des activités politiques. La Conférence de Brazzaville (janvier-février 1944) n’a pas abouti à l’autonomie rêvée par certains Africains. C’est la déception et l’amertume, surtout après les tueries de soldats africains de Thiaroye de décembre 1944, suite au refus des autorités militaires de leur payer leurs indemnités de captivité. La Fédération socialiste du Sénégal polarise la grande masse. Son programme repose sur la « défense des intérêts communs, sans distinction de race, de couleur ; et de la démocratie ». Selon elle, « la devise républicaine (Liberté, Egalité, Fraternité) devait exister dans les actes et non dans les mots ».
En mai 1945, la guerre prend fin. Des élections municipales sont prévues le 1er juillet 1945. 34 conseillers vont être élus et trois listes sont en compétition : le Bloc sénégalais d’union socialiste, patriotique et anti-fasciste de Lamine Guèye, qui attire les jeunes électeurs ; la liste du parti dioufiste républicain et anti-fasciste, conduite par Alfred Goux, qui draine les vieux électeurs ; la liste Union républicaine de Grazziani, autour des Européens, Métis et autochtones conservateurs. Sur 9800 suffrages exprimés, le Bloc sénégalais obtient 8590 voix contre 951 pour le parti dioufiste et 240 pour l’Union républicaine. Lamine Guèye, élu maire, a comme adjoints Omar Ndir, Me Jean Sylvandre, Amadou Assane Ndoye, Cheikhou Diop, Maguette Ba et Ibrahima Thiaw.
Mais la classe politique dakaroise était surtout marquée par l’opposition entre les tenants de l’assimilation comme Lamine Guèye et ceux de l’autonomie comme Doudou Ba du Mouvement autonomiste africain (M. A. A.) et Pierre Diagne du Mouvement national autonome (M. N. A.). Cette vie politique connaît également des transformations qualitatives avec la Loi Lamine Guèye du 7 mai 1946, qui accorde la citoyenneté à tous les ressortissants des colonies françaises d’Afrique et celle du 11 mai de Houphouët Boigny, qui supprime le régime de l’indigénat. Les élections législatives du 2 juin 1946 envoient Lamine Guèye (pour le collège des citoyens) et Léopold Sédar Senghor (pour le compte des « sujets ») à l’Assemblée constituante. Et les élections municipales du 19 octobre 1947 (37 conseillers à élire dont 9 adjoints) accordent une large majorité à la liste SFIO avec 28 405 voix – sur 34 032 suffrages exprimés) contre 1963  à l’UDS-RDA, 1896 à Alfred Goux et 1768 au RPF. Pourtant, le conflit du rail du 10 octobre 1947 avait donné matière à critiquer contre Lamine Guèye. Le 25 octobre 1947, les conseillers municipaux élisent à l’unanimité Lamine Guèye, maire de Dakar.
En septembre 1948, Senghor divorce avec Lamine Guèye et fonde, grâce au soutien de Mamadou Dia, le Bloc démocratique sénégalais (BDS), qui se réclame du « socialisme africain » inspiré par la négritude définie comme « l’ensemble des valeurs de civilisation du monde noir ». Dès lors, on assiste à une bipolarisation SFIO-BDS. Mais à Dakar, la SFIO demeure le parti le plus puissant et le plus populaire. En fait, il n’y avait pas, à Dakar, une opposition entre citadins et ruraux, mais une rivalité entre les anciens notables de la vieille ville et les notables des nouveaux quartiers. En outre, le BDS n’a pas véritablement cherché à s’implanter dans les villes, singulièrement à Dakar. Toutefois, il gagne les législatives de juin 1951. Mais trois années plus tard, on assiste au sectionnement de la commune de Dakar conformément à l’article 12 de la loi du 5 avril 1884 dont les dispositions essentielles avaient été rendues obligatoires à Dakar par le décret du 3 janvier 1946. Ce sectionnement avait, entre autres objectifs, une plus large facilité et une plus grande célérité dans les opérations du scrutin, de rapprocher l’électeur de son candidat, et de raccourcir les démarches. Mais la collectivité lébou se sentait particulièrement visée par cette mesure. Après moult péripéties, l’Assemblée territoriale du Sénégal divise Dakar en quatre sections : Dakar-Ville et Gorée, Médina, Grand Dakar et la banlieue. Ce découpage est confirmé par l’arrêté du 30 novembre 1955, du gouverneur par intérim, Colombani.
Mais le contexte est marqué par le conflit Senghor-Abass Guèye. Ce qui profite à la SFIO qui remporte les élections municipales du 26 avril 1953. Mais le scrutin sera annulé par le Conseil d’Etat, à la suite d’une requête de Senghor et de nouvelles élections sont prévues le 19 novembre 1955. Elles n’auront lieu qu’en novembre 1956. Entre temps, conformément à l’article 9 de la loi du 5 avril 1884 et des articles 3 et 44 de la loi du 18 novembre 1955, le Conseil municipal de Dakar est dissous et des délégations spéciales sont nommées pour Dakar et Gorée. A Dakar, le BDS et la SFIO acceptent le principe de la désignation, à l’unanimité, de Lamine Guèye comme président ayant autour de lui trois représentants de la SFIO (Paul Bonifay, Ibrahima Thiaw et Adama Cissé). Mais le 30 novembre, jour de la désignation du président de la délégation, Amadou Bâ, soutenu par les représentants du BDS s’oppose à son patron Lamine Guèye et se fait élire. Dans cette atmosphère de tension, un violent accrochage oppose à la mairie de Dakar, des membres du BDS et des partisans de Lamine Guèye. Joseph Mbaye, vice-président de l’Assemblée territoriale et de la délégation de Dakar, s’en sort avec une fracture du crâne.
Aux élections municipales du 18 novembre 1956, avec le concours d’Abbas Guèye qui a rallié la SFIO en octobre et celui du Grand Serigne de Dakar, El Hadji Ibrahima Diop Youssouf, la liste d’Action socialiste et démocratique de la SFIO bat celle des amis de Senghor. En vertu de la règle proportionnelle, la SFIO remporte 21 sièges contre 16 pour le BDS. Lamine Guèye retrouve son fauteuil de maire qu’il ne quittera qu’en …1961. En effet, en 1958, la SFIO devenue le PSAS (Parti sénégalais d’Action socialiste) fusionne avec le BDS devenu BPS (Bloc populaire sénégalais) pour donner naissance à l’UPS (Union progressiste sénégalaise).

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