Si la colonie du Sénégal est
représentée au parlement français depuis 1802, dès 1848, en même temps que
l’abolition de l’esclavage, la IIe République avait accordé la citoyenneté
aux habitants des Quatre communes de plein exercice : Dakar, Gorée,
Saint-Louis et Rufisque. Outre ces communes, la colonie comprenait également
les territoires de protectorat.
A cette division territoriale,
s’ajoute une autre, d’ordre socio-économico-politique. Les sujets étaient
victimes du régime de l’indigénat alors que les originaires des Quatre communes
avaient une situation relativement meilleure.
La vie politique dans les Quatre
communes était au début dominée par les Blancs et les Métis. Ces derniers, pour
la plupart, détenaient les premiers journaux indépendants comme le Réveil du Sénégal créé en juillet 1885 à
Saint-Louis et le Petit Sénégalais
fondé en août 1886 à Saint-Louis. Ces journaux défendaient les intérêts
électoraux du Groupe Dévés-Crespin. Ainsi la vie politique était dominée par
les négociants, les commerçants et les membres de professions libérales. En
1910, l’avocat François Carpot remporte les élections législatives en battant
son camarade du Parti radical socialiste, F. Marsat et P. Sabourault. Les Noirs
étaient, quelque peu, marginalisés. Toutefois, en 1909, Galandou Diouf de
Rufisque est élu avec le mulâtre Cardeau comme conseiller. Cette collaboration
prend fin en 1914 avec la candidature de Blaise Diagne aux élections législatives.
A partir de 1914, on note une
participation active des originaires des Quatre communes à la vie politique.
C’est le début d’une vie municipale dominée par l’élite intellectuelle des
Quatre communes constituée surtout d’instituteurs. Quelques associations voient
le jour. C’est le cas de l’«Aurore de Saint-Louis » dont les activités
tournaient autour de la politique, du sport, de journées et soirées
récréatives. La vie municipale est marquée par deux courants : celui qui
défend la thèse de l’assimilation et celui qui est pour la défense de
l’idéologie « nationaliste ». Ce courant, dominé par les jeunes,
s’oppose ainsi aux désirs de l’administration coloniale. Celle-ci est quelque
peu en difficulté en raison de supériorité en nombre des Noirs dans les
collèges électoraux des municipalités. Selon les chiffres du recensement du 1er
juillet 1926 (AOF), Dakar occupe la première place des villes de plus de
15 000 habitants, avec 33 679 habitants dont 2939 Européens.
Saint-Louis, la capitale du Sénégal à l’époque, venait en troisième position
derrière Porto-Novo, avec 18 042
habitants dont 1038 Européens.
Le triomphe du parti « diagniste »
Dès lors, il y a eu des
tentatives, de la part de l’administration coloniale, de restreindre les droits
les droits des originaires en matière électorale. Par exemple, en leur refusant
la possibilité d’entrer dans les unités militaires stationnées dans la colonie.
La prise de conscience des originaires, à partir des années 1920, était surtout
due à la réélection de Blaise Diagne, en 1919, comme député du Sénégal – il
s’était présenté comme le candidat de tous les opprimés – et des conséquences
socio-économiques de la Première Guerre mondiale sur la mentalité des
populations. Le contact entre Africains et Européens sur les champs de bataille
a éventré le mythe de la supériorité du Blanc. D’ailleurs à la réélection de
Blaise Diagne, la chanson populaire disait : kuuy mu nuulmi daan na mu weexmi (le bélier noir a terrassé le
bélier blanc). La même année (1919), les élections municipales sont marquées
par la triomphe des listes « diagnistes » du Parti républicain
socialiste. Amadou Clédor Ndiaye, Galandou Diouf, Jules Sergent et Ambroise
Mendy sont respectivement élus maires de Saint-Louis, Rufisque, Dakar et Gorée.
Ceci, malgré le soutien apporté à l’opposition par le gros commerce bordelais
très remonté contre Blaise Diagne, qui traitait, en 1914, ses dirigeants
d’« aventuriers, de négriers et d’assassins ».
A partir de 1920, le parti
« diagniste » enregistre la défection de Tiécouta Diop, Amadou Sow
Télémaque, de jeunes intellectuels, qui vont créer un parti d’opposition,
l’Union républicaine des jeunes sénégalais. Leur programme tourne autour de la
lutte pour l’égalité des diplômes, l’égalité des salaires avec leurs homologues
européens, l’octroi de la citoyenneté à part aux originaires des Quatre
communes et l’amélioration des conditions de vie des sujets français.
Aux législatives de 1924 et
municipales de 1925, l’Union républicaine des jeunes sénégalais se lance à
l’assaut du parti « diagniste ». Le contexte est marqué par une
double crise politique et sociale. Il est reproché à Blaise Diagne de n’avoir
pas participé à la guerre aux côtés de ceux dont il réclamait le droit d’être
incorporés. Il y avait aussi le problème des terres au Cap-Vert et à Guet Ndar,
la grève des cheminots de 1920 et un mécontentement dû à la hausse de certaines
denrées comme le sucre et le riz. En outre, de 1920 à 1923, trois événements creusent le fossé entre Blaise
Diagne et le mouvement d’opposition : le procès des maisons de commerce
(Etablissements Maurel et Prom) contre les municipalités de Dakar, Rufisque et
Saint-Louis accusées d’avoir perçu illégalement des taxes – il était reproché à
Blaise Diagne d’avoir une attitude passive voire complice. Les municipalités
défendues par Me Lamine Guèye avaient gagné le procès – la création du Conseil
colonial en lieu et place de l’ancien Conseil général et le pacte de Bordeaux.
Malgré tout, Blaise Diagne remporte les législatives de 1924 par 6133 voix
contre 1891 pour Paul Deferre. Mais les municipales de 1925 sont par la défaite
du parti diagniste. A Saint-Louis, Me Lamine Guèye bat Amadou Duguay Clédor
Ndiaye, Maurice Guèye qui faisait équipe avec l’opposition triomphe de Galandou
Diouf (un diagniste) à la mairie de Rufisque. Mais Blaise Diagne est victorieux
à Dakar, « grâce à l’administration coloniale et le gros commerce »,
selon ses détracteurs.
À Saint-Louis, le conseil
municipal est miné par la querelle entre Lamine Guèye et Moustapha Malick Gaye.
Ce qui amène Lamine Guèye à négocier avec Blaise Diagne, par l’intermédiaire de
Me Giacomoni, avocat à Dakar et ami du député du Sénégal. Le 1er
avril 1927, la réconciliation est scellée et le lendemain, un arrêté du
gouverneur général prononce la dissolution du conseil municipal. Une délégation
spéciale est instituée par un autre arrêté du gouverneur et comprenant Lamine
Guèye comme président. Les autres membres sont Pierre Chimère (propriétaire et
ancien maire) et Daniel Martin (agent de Maurel et Prom).
Aux élections municipales
partielles de 1927, les diagnistes sont victorieux. Chimère Diop, un notable,
est élu maire. Lamine Guèye et Moustapha Malick Gaye sont membres du conseil
municipal. Au cours de la même année, se produit un fait important. Le journaliste
Jean d’Aramy d’Oxoby, propriétaire de l’Ouest
africain français est limogé du parti diagniste pour avoir permis à
Moustapha Malick Gaye de se livrer à des attaques contre Lamine Guèye, ce qui,
aux yeux de Blaise Diagne, était contraire à la solidarité. Il est également
reproché à d’Oxoby d’avoir trop insisté sur l’« Affaire Taillerie »
ou « Affaire de la mosquée de Touba ». Blaise Diagne se sentait visé
parce qu’il n’avait demandé qu’une sanction administrative contre Taillerie –
chargé des travaux de la mosquée, il avait escroqué les mourides – qui avait
atteint la retraite sans dommages.
Galandou Diouf, qui affichait une
prudente réserve à l’égard de Blaise Diagne depuis le pacte de Bordeaux, resta
solidaire de son ami Taillerie. D’ailleurs en février 1928, Galandou Diouf, qui
avait annoncé son intention de se présenter contre Blaise Diagne aux
législatives du 22 avril de la même année. Il fut battu par le député sortant
par 5175 voix contre 4396, soit un écart de 779 voix. La victoire de Blaise
Diagne. La victoire de Blaise Diagne était surtout due au soutien de
l’administration et du lobby bordelais qui contrôlait la presque totalité de
l’économie de la colonie et même de l’AOF par l’intermédiaire de la Banque de
l’AOF et surtout du gros commerce (Maurel et Prom, Vezia, CFAO, Buhan et
Teisseire, etc.).
A la veille des élections
municipales de 1929, toutes les municipalités, à l’exception de celle de
Rufisque, sont contrôlées par le parti diagniste. Mais à Dakar, avec le décès
du deuxième adjoint au maire, Ambroise Mendy, en novembre 1928, Michel Sangue
reste le principal représentant de Blaise Diagne au sein du conseil municipal.
Mais Galandou Diouf profita d’une nouvelle défection de Lamine Guèye, qui avait
amené Télémaque Sow, irréductible adversaire de Blaise Diagne. Galandou
bénéficiait également du soutien de Mamadou Assane Ndoye qui drainait une bonne
partie de l’électorat lébou, du marabout mouride Cheikh Anta Mbacké et d’une
bonne partie de la presse d’opinion. Le contexte était surtout marqué par les
répercussions de la crise économique des années 1930. Cela n’empêche pas Blaise
Diagne de remporter les élections du Conseil général de 1930. Mais il a perdu
du soutien du gouverneur général Jules Carde, remplacé par Brévié. Avec la
neutralité de l’administration, les partisans de Galandou remportent les
élections municipales du 7 décembre 1930 à Kaolack devant Duguay Clédor,
président du conseil municipal et commissaire priseur, par 188 voix contre 135.
En février 1931, Blaise Diagne devient sous-secrétaire d’Etat aux colonies au
gouvernement Laval. Il remporte les législatives de 1932 par 7250 voix contre
3830 à Galandou Diouf. Mais il meurt le 11 mai 1934 à Cambo-les-Bains (Basses
Pyrénées).
1935 : Les « Dioufistes » trustent les conseils municipaux
Après la mort de Blaise Diagne,
la vie politique sera dominée par Galandou Diouf qui remporte les législatives
du 29 juillet 1934 par 6126 voix contre 4584 à Lamine Guèye. Aux élections
municipales partielles à Dakar, le 12 août de la même année, la liste patronnée
par Galandou Diouf et dirigée par l’homme d’affaires européen, Alfred Goux,
triomphe celle des amis de Diagne. Mais ceux-ci sont majoritaires au conseil
municipal et Armand Angrand reste toujours maire de Dakar.
Grâce à Galandou Diouf, le prix
de l’arachide passe de 40 à 100 francs les 100 kilos. Ce qui consacre la
victoire de ses amis lors du renouvellement partiel des conseillers coloniaux
en février 1935. Galandou Diouf gagne en popularité. Les élections municipales
générales de mai 1935 confirment cette popularité en envoyant des Dioufistes
dans tous les conseils municipaux. Alfred Goux, Aby Kane Diallo et Galandou
Diouf sont respectivement élus maires de Dakar, Saint-Louis et Rufisque. Les
municipalités entre les mains des Dioufistes innovent en publiant le budget
municipal avec l’essentiel des dépenses, surtout celles destinées au domaine
socio-religieux avec la construction de classes et l’entretien des mosquées. En
outre, le ralliement du Diagniste Michel Sangué, président de la commission
permanente du conseil colonial, assure la majorité aux amis de Galandou chez
les conseillers élus. Avec la démission de la présidence du conseil colonial de
Amadou Duguay Clédor (malade) et son remplacement par Aby Kane Diallo, les
Dioufistes monopolisent la vie politique de la colonie.
Après les législatives de 1934,
Lamine Guèye s’était démarqué du parti diagniste en créant le
Franco-Sénégalais, qui prend le relais de la France coloniale. Il se rallie à
Armand Angrand qui, en 1934, en vue des législatives, avait créé le Parti
socialiste sénégalais (PSS). A partir du deuxième congrès de ce parti, le 24
novembre, Lamine Guèye qui était le leader, est choisi comme candidat officiel
aux prochaines législatives tandis que l’AOF devenait l’organe officiel du PSS.
Ainsi, aux législatives de 1936, le Front populaire (FP) constituait de la SFIO
et du PSS, soutient Lamine Guèye. En France, le FP constitué du Parti
communiste, du Parti socialiste et des radicaux, est majoritaire à la chambre
des députés. Le leader socialiste, Léon Blum, forme le gouvernement tandis
qu’un autre socialiste Michel Mouttet devient ministre des colonies. Mais
Galandou Diouf, fidèle au programme tracé en 1934, triomphe avec 8370 voix
contre 1120 à Lamine Guèye.
Le décret du 8 août nomme Brévié
comme gouverneur général en Indochine. Il est remplacé par le militant
socialiste, De Coppet. Les 2 et 3 mai 1937, au congrès constitutif de la
Fédération sénégalaise de la SFIO, le PSS est dissous et intégré à la SFIO. Dès
lors, l’opposition collabore avec les hautes autorités gouvernementales et
coloniales en vue de la liquidation politique de Galandou Diouf. A
Saint-Louis, le blocage du conseil
municipal conduit à des élections partielles remportées par le Front populaire.
A la suite d’un nouveau blocage, les autorités dissolvent le conseil municipal
le 4 juin. De nouvelles élections sont organisées et remportées par la liste du
FP. Galandou Diouf se sentit dès lors menacé. Il profita de la grève des
cheminots de septembre 1938 (6 morts et 125 blessés) en se rangeant du côté des
auxiliaires grévistes. A leur tête, il signa avec les autorités l’accord qui
mit fin au mouvement.
Mais cette grève a eu des
retentissements en France. Une commission d’enquête est mise sur pied. Des
têtes tombent. De Coppet est mis en congé, remplacé par Pierre Boisson. Le
gouverneur du Sénégal, Lefèvre est relevé de ses fonctions et remplacé par
Parisot, ex-gouverneur du Gabon. Mais l’accord conclu avec les grévistes est
violé par le gouverneur général qui veut reprendre la situation en main. En
1939, fait notable, le droit de vote est accordé aux anciens combattants, les
dispositions régissant le conseil colonial sont révisées. C’est aussi l’année
de l’éclatement de la Deuxième Guerre mondiale. Les libertés sont mises entre
parenthèses par le régime vichyste. Les conseils municipaux sont suspendus.
Galandou Diouf meurt en août 1941.
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